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les sauvages

 

 

j’étais dans la châtaigneraie au-dessus de la maison à descendre le bois coupé ces dernières semaines

nous ne sommes pas très nombreux à faire ce boulot là je ne sentais pas le froid

nettoyer le sous-bois soigner les arbres effacer les blessures de la tempête de Janvier éclaircir élaguer couper ces bruyères et ces genets qui savent si bien se transformer en torche le moment venu retarder ce moment

les châtaigniers sont malades les vieux ceux qui n’ont pas été coupés depuis la dernière guerre cette forêt est vierge depuis cinquante ans c’est à cette époque que nombre de mas ont été abandonnés leurs habitants cédant à l’appel de l’électricité et de l’eau chaude

le bois de châtaignier servait alors à la construction parquets charpentes linteaux mais aussi piquets de clôture tonneaux les arbres n’avaient pas le temps de devenir vieux

et les sécheresses à répétition de ces dix dernières années l’ont fragilisé plus de force pour se battre contre les insectes les maladies chancre encre alors il faut couper cela donne de la vigueur aux rejets qui repartent du pied et s’occuper d’eux

supprimer les chétifs les tordus ce monde est sans pitié mais si ce travail n’est pas fait la souche se dessèche puis meurt à son tour et plus rien ne repousse

la vue d’un châtaignier mort me désole son tronc nu et presque blanc ses branches réduites à des perches acérées comme des griffes

alors je m’occupe d’eux j’aime ça et puis le travail dans les bois est une psychanalyse

je pensais au tallats i sembrats la coutume ancestrale qui autorisait les villageois à défricher et à semer

à la tradition de la barra qui consistait à ramasser le bois mort pour se chauffer et que par ici seul le météorologue continue de pratiquer il faut le voir à plus de soixante ans passés remonter chaque soir la côte vers les remparts avec un tronc de châtaignier porté sur l’épaule

pourquoi avons-nous quitté les bois comme des marins tourneraient le dos à la mer

et je jetais mes bûches dans la pente lorsqu’un groupe de randonneurs est passé à quelques mètres au-dessus par le chemin ni bonjour ni merde de quel côté était le sauvage

 

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